Frédéric Alexandre

Le paysage la nuit

Le paysage, partie d’une contrée que l’œil peut embrasser dans son ensemble, ne disparait pas lorsque la nuit estompe au regard, dans leur plus grande partie, les détails qui le composent. Lorsque la nuit est étoilée, les formes essentielles du paysage s’imposent dans toute leur netteté. Lorsque l’obscurité l’emporte, la nuit noire révèle combien tous les sens sont mobilisés dans la perception du paysage. Cette contribution donnera d’abord à un géographe qui, de jour, fait du paysage son objet d’étude, étudiant sa structure, son contenu, sa dynamique, l’occasion de relater son expérience de la face nocturne du paysage, dans les montagnes méditerranéennes, dans le massif alpin ou dans l’Afrique sahélienne.

Dans le même temps, le paysage se peuple, lorsque la nuit vient, de tout un imaginaire que nos sociétés ont suscité. Apparu en Hollande au XVIe siècle, le mot de paysage (landschap) exprimait originellement un sentiment de bien-être qui saisissait l’observateur devant le spectacle d’un pays baigné de la douce lumière du jour. A l’inverse, les deux derniers siècles ont fortement contribué à construire un système de représentations du paysage nocturne, sur un registre qui a le plus souvent joué, à partir du romantisme, sur le côté sombre de la nuit. Pour un « calme clair de lune triste et beau » de Verlaine, combien de visions tragiques ? Elles seront évoquées à travers la peinture, la littérature populaire, la poésie. On puisera tout particulièrement dans l’œuvre de Baudelaire où le thème récurrent du paysage entre souvent en résonance avec le jour, la nuit, l’aurore et le crépuscule. Le cinéma qui, par la technique de la nuit américaine, a recréé un paysage nocturne sera aussi convoqué.

Eclipsant, au grand dam des passionnés d’astronomie et des rêveurs, le ciel étoilé, la généralisation de la lumière électrique a construit un nouveau paysage nocturne, devenu l’enjeu d’une scénographie qui cherche à mettre en valeur grands sites, hauts lieux et monuments patrimoniaux. Cette mise en scène peut aussi rechercher un mode de domination symbolique de l’espace, lorsque, la nuit venant, s’allume la sky line des quartiers d’affaires. Plus subtilement, urbanistes et édiles rivalisent aujourd’hui d’inventions, pour créer un paysage nocturne original, en jouant sur les effets de lumière.

Eléments biographiques

Frédéric Alexandre est professeur de géographie à l’Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité, coordinateur de l’axe de recherche Territoires, Limites, Marges au sein du laboratoire pluridisciplinaire Pléiade. Ses recherches ont d’abord porté sur la biogéographie végétale, et notamment la question de la limite bioclimatique du domaine méditerranéen et du modèle de l’étagement de la végétation avec l’altitude. Elles se sont ensuite élargies à l’étude de la dynamique des paysages en relation avec les changements sociaux et environnementaux dans les montagnes méditerranéennes, sur la bande littorale de l’Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. Il s’interroge également sur la place de la végétation dans les espaces urbains et péri-urbains des grandes métropoles européennes.

Auteur ou coauteur d’une cinquantaine d’articles dans des revues scientifiques ou des actes de colloque, il a coordonné avec Alain Génin, aux Presses de l’Université François Rabelais de Tours, Continu et discontinu dans l’espace géographique (2008) et il est l’auteur, toujours avec Alain Génin, d’une Géographie de la Végétation terrestre. Modèles hérités, perspectives, concepts et méthodes chez Armand Colin (collection U) (2012).


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