Jean-Jacques Vincensini

Lecture du ciel étoilé et destins catastrophiques ? (A propos d’un épisode du Roman de Mélusine)

« L’ystoire dit que cilz contes Aimery fu un tresvaillans homs et qui ama toutes noblesces et fu ly plus saiges d’astronomie qui feust a son temps ne depuis Aristote. » (L’histoire rapporte que ce comte Aymeri était un homme d’une valeur exceptionnelle, friand de nobles gestes, savant en astronomie comme personne à son époque ni à aucune depuis Aristote.)

C’est ainsi que, à la fin du xive siècle, le Roman de Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan (en prose ou en vers) présente l’oncle du héros de cette narration, Raymondin, futur époux de la célèbre fée Mélusine, celle qui tous les samedis prend un corps hybride, moitié serpente-moitié femme.

Sa science en astronomie, le comte en fait usage au cours d’une chasse particulièrement sauvage en compagnie de son bien-aimé neveu. Lors d’une brève pause, il lève les yeux vers le ciel et voit « les estelles cleres et l’air pur, et la lune estoit moult belle, sans tache ne obscurté. » Que découvrent les lecteurs en observant avec le comte le ciel immaculé et les étoiles claires et lumineuses ? Nombreuses et riches de sens, les réponses lancent sur bien des pistes.

Par exemple, celle qui touche aux relations nouées par la culture médiévale entre astronomie, philosophie naturelle et arts occultes à travers la place occupée par le ciel dans le topos du « grand livre » de la Nature à déchiffrer. Autre piste, celle qui conduit vers le statut équivoque du ciel, à la fois levier de la connaissance astronomique et univers interdit aux yeux de l’humanité pécheresse. Saint Bonaventure, dans ses Méditations de la vie du Christ, affirmait : « A cause du péché du premier homme, nul ne pouvait monter à la patrie d’en haut ».

Mais du rationnel à la merveille, il n’y a qu’un pas, qu’un regard perdu dans le ciel étoilé. On retrouvera alors le sage comte de Poitiers contemplant et déchiffrant la beauté signifiante des étoiles. Et on l’entendra soupirer profondément et, après quelques plaintes fortes et prenantes, dire : « Dieu de vérité, les merveilles que tu as laissées dans les mains de la nature, ta servante ici-bas, resteraient bien étranges et leur usage bien néfaste, si tu ne répandais ta grâce divine ! »

Quelle vision « merveilleuse » le comte a-t-il pour être ainsi déchiré et confiant ? En quoi, son neveu est-il concerné par le déchiffrage du texte céleste que Dieu lui-même offre aux yeux des incrédules ?

Pour mener l’enquête et répondre à ces questions, on relira le Roman de Mélusine au risque d’y découvrir des crimes et des transgressions qui donnent une coloration bien particulière au charmant récit féerique qui tente de voiler les « destins catastrophiques » de ses acteurs.

 


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